lundi 24 novembre 2008

UN JOUR PROCHAIN (2/3)

Trou1 par5 hcp12 460m « le bunker du fairway »

Je suis derrière le bunker, je vois le drapeau. Il flotte un peu sur la droite, il y a encore une légère bande de brume devant la butte doucement surélevée du green. On dirait un vaisseau fantôme qui tente de s’enfuir vers le large.

Il me reste encore 200 bons mètres avant d’atteindre la terre promise. Ma balle n’est pas enfoncée, elle a roulé sur le sable, imprimant une trace depuis le fairway.
Je n’ai que deux solutions, la force ou la sagesse.

Je regarde de nouveau vers le green pour m’assurer de ne pas avoir raté une autre subtilité. Ses trois bunkers me laissent une ouverture claire, je pourrai y passer en roulant, le green en lui-même n’est pas très grand, y atterrir de loin pourrait être risqué.

Je choisis mon fer9.
Si je ne me dégage pas aussi loin que je ne le prévois mon fer8 sera là, si tout se passe bien, mon complice, le pitcheur terminera l’attaque.

Je reprends ma routine, derrière le sable, une visée proche de moi pour aller vers le green sans chercher à l’atteindre, juste le swing, sans objectif, sans enjeu, simple et efficace.
J’aime ce fer9, prêt à tous les services, de près comme du bout de ses 110m depuis que je le maitrise.

Je descend dans l’arène, mon grip est déjà en place, un peu serré, je me place, mes pieds cherchent leurs marques et s’enfoncent un peu, à peine, un mouvement de poignet pour m’assurer que je suis détendu. La lame descend jusqu’à flirter avec le sable. Dès que je serai sur, le déclic de mon swing sera un léger relâchement du grip.

C’est un mouvement de pendule de l’ancien temps sans le bruit d’un carillon, juste une sorte de souffle, un choc étouffé, un peu de sable s’arrache nerveusement et dépose sur le fairway un tapis éparse et doré. Ma balle monte sans la hargne de mon premier coup comme lancée et non percutée. Sa descente est rapide accompagnée de deux rebonds, elle trône, fière et lointaine, sur le fairway que je vais enfin pouvoir tester.

Je quitte l’arène, le râteau est là, me voila complice de l’architecte. J’efface les traces de mon passage. Le piège est à nouveau invisible.

Plus j’avance et plus je me rends compte à quel point j’ai pris des habitudes tactiques même en terrain inconnu. J’ai toujours aimé le pitch en plein coup, ce club court, placé bien au centre et dont la face, parfois, reflète le soleil. C’est le fer du ciel, celui qui monte sans crainte pour retomber sur le green et rouler à peine, parfois juste se poser, s’imposer en douceur.

Enfant, dans le sud, je jouais à la pétanque avec mon grand père, j’étais fasciné quand je le voyais s’abaisser, sa main alourdie par la boule touchant presque le sol, puis ce mouvement large et harmonieux, la boule qui monte et tombe derrière ma boule de défense me prenant le point à chaque fois.

Mon pitch c’est le fer avec lequel je pointe comme le faisait mon grand père.

Je suis à portée, en plein coup, effectivement. Je laisse mon chariot un peu en arrière, je sors mon allié de toujours et j’avance dans la ligne de visée de la balle vers le drapeau, encore une habitude devenue instinct.

J’ai une routine spéciale pour lui, un peu comme pour un putting, je me place à l’arrière et mes genoux se plient, je descends dans la position de ces guerriers africains que j’ai déjà vu dans des reportages. En fait je me rends compte que ce n’est pas ça, non je suis mon grand père, prêt à pointer vers le ciel…

Ma visée est nette, à peine à quelques centimètres de ma balle, une fleur de trèfle, blanche et arrondie est dans la ligne, je la remercie et je me relève.

« Relâche tes poignets »

C’est un leitmotiv avant chaque coup qui doit arriver sur le green, les poignets doivent se casser dans la montée du geste et pourtant cette cassure doit être en harmonie avec l’ensemble de mouvement. Je le faisais avec trop de mécanique à mes débuts. On aurait pu voir en me regardant le geste prendre une pause pour que mes poignets plient dans l’angle demandé. Il m’a fallu du temps pour comprendre que cela devait être la pliure d’une branche de saule et non la cassure d’une branche de chêne pour conserver l’harmonie de mon backswing. Alors je me le répète comme une incantation magique désormais.

Le drapeau flotte encore, je regarde les arbres à ma gauche. Leurs cimes bougent vers moi. Ça souffle une fois que l’on est plus à l’abri dans ce couloir naturel.

J’admire l’architecte encore une fois d’avoir fait planter des arbres de faible taille et non des rois de la foret, le vent souffle toujours dans la même direction ici, c’est pour cela que deux des trois bunkers sont sur la droite du green, pour accueillir une probable déviation naturelle après l’envol…

Le bunker de gauche est à moins de 7m du drapeau, je regarde les arbres à nouveau, puis le drapeau et je descends vers la fleur. Je ne la choisis pas finalement mais je prends sa voisine, à peine plus à gauche…

« Relâche tes poignets »

Je visualise devant l’entrée du green quelques boules de pétanque, je vais avoir ma revanche ce coup ci…

La montée est sure, la balle flotte un instant avant de retomber, un peu déviée par le vent perfide. De là haut, je l’imagine dans cet instant où, immobile, elle sait qu’elle va plonger à toute vitesse, comme quand on est au bout du bout de la montée d’un grand huit.

La terre promise est atteinte.

J’arrive devant le green, ma balle est à 2m du trou, je sors mon putter du sac comme un toréador sort l’épée qu’il avait caché dans sa muleta…

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